La grand-mère
Traditionnel
Ma grand' mère, un soir à sa fête,
de vin pur ayant bu deux doigts,
nous disait en branlant la tête :
que d' amoureux j' eus autrefois !
Combien je regrette
mon bras si dodu,
ma jambe bien faite,
et le temps perdu !
Quoi ! Maman, vous n' étiez pas sage !
-non vraiment ; et de mes appas
seule à quinze ans j' appris l' usage,
car la nuit je ne dormais pas.
Maman, vous aviez le coeur tendre ?
-oui, si tendre, qu' à dix-sept ans,
Lindor ne se fit pas attendre,
et qu' il n' attendit pas long-temps.
Maman, Lindor savait donc plaire ?
-oui, seul il me plut quatre mois :
mais bientôt j' estimai Valère,
et fis deux heureux à-la-fois.
Quoi ! Maman, deux amants ensemble !
-oui, mais chacun d' eux me trompa.
Plus fine alors qu' il ne vous semble,
j' épousai votre grand-papa.
Maman, que lui dit la famille ?
-rien, mais un mari plus sensé
eût pu connaître à la coquille
que l' oeuf était déja cassé.
Maman, lui fûtes-vous fidèle ?
-oh ! Sur cela je me tais bien.
à moins qu' à lui Dieu ne m' appelle,
mon confesseur n' en saura rien.
Bien tard, maman, vous fûtes veuve ?
-oui ; mais, graces à ma gaîté,
si l' église n' était plus neuve,
le saint n' en fut pas moins fêté.
Comme vous, maman, faut-il faire ?
-eh ! Mes petits-enfants, pourquoi,
quand j' ai fait comme ma grand' mère,
ne feriez-vous pas comme moi ?